Le tourisme de masse va-t-il pousser certains habitants à déménager ? Ce que disent les derniers chiffres en Savoie

C’est un paradoxe de plus en plus visible dans certaines vallées françaises : alors que le tourisme de montagne n’a jamais attiré autant de visiteurs, les habitants, eux, commencent à songer au départ.

En Savoie, les dernières données publiées par l’observatoire régional montrent une évolution inquiétante : de plus en plus de résidents permanents quittent les zones les plus touristiques, lassés du bruit, des prix qui grimpent et d’une vie quotidienne bouleversée.

“On ne se sent plus chez nous”

À Chamonix, Annecy, Aix-les-Bains, ou même dans des villages plus reculés de la Tarentaise, les témoignages s’accumulent. Locataires évincés pour faire place à des meublés de tourisme, embouteillages quotidiens sur des routes conçues pour 5 000 véhicules et qui en voient 20 000 en été, services de santé débordés…

“L’été dernier, j’ai dû faire 40 minutes de route pour voir un médecin généraliste. Tous les autres étaient saturés de touristes,” raconte Magalie, habitante de Bourg-Saint-Maurice.

Certains évoquent aussi une perte de repères, voire d’identité. Les commerces de proximité ferment au profit de boutiques saisonnières, les fêtes de village sont envahies, et les prix de l’immobilier deviennent inaccessibles.

Ce que montrent les derniers chiffres en Savoie

L’observatoire économique de la Savoie a publié en juin une étude détaillée sur l’évolution des populations résidentes et touristiques entre 2018 et 2024. Les données sont parlantes :

Commune / ZoneRésidents permanents (2024)Évolution depuis 2018Touristes (été 2024 estimé)
Les Arcs / Bourg-Saint-Maurice7 100-4,2 %+29 %
La Clusaz1 720-6,1 %+33 %
Aix-les-Bains30 500+1,8 %+18 %
Chamonix8 900-3,7 %+25 %

Les chiffres confirment ce que les habitants ressentent : dans les communes les plus dépendantes du tourisme, la population permanente stagne ou diminue, pendant que le nombre de visiteurs grimpe en flèche.

Une pression ressentie dans le quotidien

Ce ne sont pas uniquement les villages d’altitude qui sont concernés. Même les villes plus importantes, comme Chambéry ou Albertville, voient leurs périphéries se transformer.

Les habitants citent des problèmes récurrents :

  • Explosion des loyers et raréfaction des biens à louer à l’année
  • Difficulté d’accès aux écoles ou aux soins en période touristique
  • Fermetures de routes pour les événements saisonniers
  • Services publics décalés au profit des zones très fréquentées

“La crèche de mon fils a dû fermer trois semaines plus tôt parce que le personnel avait été réquisitionné dans les stations,” explique un jeune père installé à Moûtiers.

Un sentiment d’exclusion croissant

Dans certains secteurs, des campagnes d’affichage spontanées sont apparues. À l’entrée de certains hameaux, on peut lire : “Ici, on vit à l’année. Pas de location courte durée.”
Un signal fort, qui rappelle que le fossé se creuse entre habitants permanents et vacanciers temporaires.

Derrière cette tension, il y a aussi une forme de lassitude :

“On ne veut pas interdire le tourisme, on veut juste pouvoir vivre dignement ici, sans avoir l’impression d’être des figurants,” glisse Corentin, saisonnier devenu résident permanent à Valmorel.

Des solutions sur la table… mais peu appliquées

Certains élus locaux commencent à évoquer des quotas de meublés touristiques, comme c’est déjà le cas à Annecy ou Megève. D’autres misent sur un encadrement plus strict de la location courte durée, ou des aides au logement pour les locaux.

Mais pour l’instant, les mesures concrètes restent timides, freinées par les intérêts économiques que représente le tourisme dans ces territoires.

Liste (unique) : Les pistes envisagées par certaines communes

  • Plafonnement du nombre de nuitées Airbnb par an
  • Création de zones “prioritaires” pour le logement permanent
  • Taxation plus forte des résidences secondaires
  • Mise en location obligatoire des logements vides

Faut-il choisir entre habitants et visiteurs ?

La question se pose de plus en plus clairement. Peut-on continuer à faire croître l’activité touristique sans sacrifier la vie locale ?

Certains experts plaident pour une approche plus équilibrée : répartir les flux touristiques, désaisonnaliser l’offre, investir dans des infrastructures pensées pour les deux publics.

Mais le temps presse : en Savoie, comme ailleurs, la cohabitation entre tourisme de masse et vie quotidienne est en train d’atteindre ses limites.

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